Amnesty International Rapport 2009: Maroc et Sahara occidental
La liberté d’expression, d’association et de réunion restait soumise à des restrictions. Les personnes qui formulaient des critiques au sujet de la monarchie ou des opinions contraires à la position officielle sur d’autres sujets considérés comme politiquement sensibles faisaient l’objet de poursuites pénales. Les autorités ont fait usage d’une force excessive pour disperser des manifestations antigouvernementales. Des partisans de l’autodétermination pour le Sahara occidental ont été harcelés et inculpés. Certaines allégations de torture n’ont fait l’objet d’aucune enquête et les victimes d’atteintes aux droits humains commises dans le passé n’avaient pas véritablement accès à la justice. Cette année encore, des milliers d’étrangers ont été arrêtés, détenus et expulsés collectivement. Au moins quatre prisonniers ont été condamnés à mort ; les autorités ont toutefois maintenu un moratoire de facto sur les exécutions.
Contexte Les pourparlers de paix menés sous l’égide des Nations unies entre le gouvernement marocain et le Front Polisario, qui réclame la mise en place d’un État indépendant au Sahara occidental et a constitué un gouvernement en exil autoproclamé dans des camps de réfugiés du sud-ouest de l’Algérie, se sont achevés en mars sur une impasse. Le Maroc exigeait un plan d’autonomie du territoire qu’il a annexé en 1975, tandis que le Front Polisario réclamait un référendum d’autodétermination, conformément aux résolutions adoptées par les Nations unies. Le Conseil de sécurité a prorogé jusqu’au 30 avril 2009 le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), qui ne prévoyait aucun mécanisme de surveillance de la situation des droits humains.
En octobre, l’Union européenne et le Maroc se sont mis d’accord sur une « feuille de route ambitieuse » en vue d’accorder au Maroc un « statut avancé » au sein de l’Union, prévoyant le renforcement de la coopération en matière de sécurité et dans les domaines politique et commercial, entre autres.
"Les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive pour disperser des manifestations antigouvernementales..."
L’harmonisation de la législation nationale avec les normes internationales et le respect des droits des migrants figuraient au nombre des recommandations formulées par plusieurs pays lors de l’examen périodique universel des rapports sur le Maroc en avril. La question de l’impunité dont bénéficiaient les tortionnaires n’a toutefois pas été abordée.
Répression de la dissidence Détracteurs de la monarchie La critique de la monarchie restait un sujet tabou. Des poursuites judiciaires ont été entamées contre des défenseurs des droits humains et des journalistes, entre autres, qui avaient exprimé des opinions que les autorités considéraient comme portant atteinte au roi et à la famille royale.
En février, la Cour de cassation a confirmé les peines d’emprisonnement pour « atteinte à la monarchie » prononcées contre trois membres de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) qui avaient participé à une manifestation pacifique en juin 2007. Ces trois hommes, ainsi que 14 autres membres de l’AMDH poursuivis pour les mêmes motifs, ont bénéficié d’une grâce royale en avril.
En septembre, la cour d’appel d’Agadir a annulé pour vice de procédure la peine de deux ans d’emprisonnement qui avait été prononcée contre Mohamed Erraji. Pour avoir mis en ligne un article dans lequel il laissait entendre que le souverain du Maroc encourageait une culture de dépendance économique, ce blogueur avait été déclaré coupable de « manquement au respect dû au roi ».
En novembre, la cour d’appel de Marrakech a confirmé la condamnation de Yassine Bellasal pour outrage au roi, mais elle a assorti du sursis la peine d’un an d’emprisonnement prononcée en première instance. Ce jeune de dix-huit ans avait écrit sur un mur de son lycée « Dieu, la Patrie, Barça » en référence au club de football de Barcelone, détournant ainsi la devise nationale du Maroc qui est « Dieu, la Patrie, le Roi ».
Militants sahraouis Comme les années précédentes, des défenseurs sahraouis des droits humains ont été harcelés et inculpés pour des motifs politiques. Leur liberté de mouvement était restreinte et ils étaient confrontés à des obstacles administratifs qui empêchaient la reconnaissance légale de leurs organisations.
Ennaâma Asfari, coprésident du Comité pour le respect des libertés et des droits humains au Sahara occidental (CORELSO), qui vit en France, s’est plaint d’avoir été torturé par des membres des forces de sécurité qui l’ont arrêté lorsqu’il s’est rendu dans la région en avril. Les autorités n’ont ordonné aucune enquête sur ses allégations. Déclaré coupable de violences, il a été condamné à deux mois d’emprisonnement.
Les services de sécurité ont averti Brahim Sabbar, président de l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’homme commises par l’État du Maroc (ASVDH), qu’il ne devait pas se rendre dans les quartiers de Laayoune où vivaient d’autres membres de cette association après sa remise en liberté, en juin.
Plusieurs centaines de Sahraouis soupçonnés d’avoir participé à des manifestations contre l’administration marocaine du Sahara occidental ou d’avoir diffusé des publications favorables au Front Polisario ont été arrêtés. Certains ont été remis en liberté après avoir été interrogés ; d’autres ont été jugés pour participation à des actions violentes dans le cadre de procès qui, semble-t-il, ne respectaient pas les normes d’équité internationalement reconnues. Nombre d’entre eux se sont plaints d’avoir été torturés ou maltraités durant leur interrogatoire par les forces de sécurité, et ont affirmé que des informations obtenues sous la torture avaient été retenues par le tribunal à titre de preuve à charge.
Yahya Mohamed Elhafed Iaazza, membre du Collectif des défenseurs sahraouis des droits de l’homme (CODESA), a été déclaré coupable en octobre de participation à des actions violentes et condamné à quinze ans d’emprisonnement. On lui reprochait d’avoir participé à une manifestation organisée à Tan Tan contre l’administration marocaine du Sahara occidental. Huit autres personnes ont été condamnées à des peines allant jusqu’à quatre ans d’emprisonnement. Leurs allégations faisant état de torture durant leur interrogatoire n’ont fait l’objet d’aucune enquête.
Militants de Justice et bienfaisance Plusieurs centaines de membres du groupe interdit Justice et bienfaisance ont été interrogés par la police au cours de l’année. Au moins 188 ont été inculpés de participation à des réunions non autorisées et d’appartenance à une organisation interdite. Le procès de la porte-parole du groupe, Nadia Yassine, inculpée en 2005 de diffamation envers la monarchie, a été reporté.
Utilisation excessive de la force Les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive pour disperser des manifestations antigouvernementales, mettant ainsi en évidence le fait que les autorités n’appliquaient pas une recommandation fondamentale de l’Instance équité et réconciliation (IER). Cet organisme créé en 2004 avec pour mandat d’enquêter sur les atteintes graves aux droits humains commises entre 1959 et 1999 avait préconisé en 2006 une meilleure règlementation des forces de sécurité.
Le 7 juin, les forces de sécurité auraient fait un usage excessif de la force pour mettre fin au blocus du port de Sidi Ifni imposé par des manifestants depuis le 30 mai. Selon certaines informations, les agents qui sont intervenus ont tiré des balles en caoutchouc, utilisé du gaz lacrymogène et dispersé la foule à coups de matraque et avec des chiens. Ils auraient également fouillé des maisons sans autorisation, saisi des biens et procédé à des arrestations et des placements en détention arbitraires. Des personnes auraient été insultées et auraient subi des sévices sexuels.
Vingt et une personnes, dont quatre membres du Centre marocain des droits de l’homme (CMDH), ont par la suite été inculpées d’actes de violence. Le rapport de la commission parlementaire désignée le 18 juin pour enquêter sur les événements de Sidi Ifni a été rendu public en décembre. Tout en affirmant que l’intervention des forces de l’ordre était justifiée, il exposait un certain nombre d’atteintes aux droits humains commises par des responsables de l’application des lois, et notamment des violences exercées contre des individus. Il appelait les autorités à identifier et à traduire en justice tous les citoyens et les membres des forces de sécurité qui ont commis des actes délictueux et des atteintes aux droits humains. À la connaissance d’Amnesty International, aucun responsable de l’application des lois n’avait été inculpé à la fin de l’année.
En juillet, Brahim Sabbaa al Layl, membre du CMDH, a été condamné à six mois d’emprisonnement pour avoir affirmé dans une interview à la chaîne de télévision Al Jazira que des viols et des homicides avaient été commis à Sidi Ifni. Le journaliste ayant mené à bien l’interview s’est vu retirer son accréditation par les autorités et a été condamné à une lourde peine d’amende.
En mai, les forces de sécurité auraient eu recours à une force excessive pour empêcher une marche de protestation que les étudiants de l’université Cadi Ayyad de Marrakech tentaient d’organiser. Elles auraient envahi le campus universitaire, frappé et détenu arbitrairement des étudiants et confisqué des biens personnels. Dix-huit membres de l’Union nationale des étudiants marocains (UNEM), dont des partisans du mouvement étudiant de la Voie démocratique, un parti de gauche, ont été arrêtés. En juin, sept personnes ont été condamnées à des peines d’un an d’emprisonnement pour avoir participé à des actes de violence ; les autres étaient en instance de procès à la fin de l’année. Tous ces étudiants se sont plaints d’avoir été torturés et maltraités durant leur garde à vue.
Lutte contre le terrorisme et sécurité Quelque 190 militants islamistes présumés ont été déclarés coupables d’actes de terrorisme et condamnés à des peines comprises entre six mois d’emprisonnement et la détention à perpétuité. Selon certaines sources, un Marocain expulsé d’Espagne figurait au nombre des condamnés.
En février, les autorités ont annoncé qu’elles avaient démantelé un réseau terroriste dirigé par Abdelkader Belliraj, un homme possédant la double nationalité marocaine et belge. Trente-cinq personnes environ ont été interpellées ; parmi elles figuraient les dirigeants de trois partis politiques : Alternative civilisationnelle, Al Oumma et le Parti de la justice et du développement. Le Premier ministre a décrété la dissolution d’Alternative civilisationnelle et un tribunal a rejeté la demande d’enregistrement d’Al Oumma. Les 35 individus arrêtés ont été inculpés de tentative d’assassinat, de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, entre autres. Ouvert en octobre, leur procès n’était pas terminé à la fin de l’année. Certains avocats de la défense ont affirmé que les autorités ne leur avaient pas fourni toutes les pièces du dossier ; d’autres ont déclaré que leurs clients avaient été torturés en détention.
Plusieurs centaines de militants islamistes condamnés à la suite des attentats à l’explosif perpétrés à Casablanca en 2003 continuaient de réclamer un réexamen de leur affaire. Beaucoup s’étaient plaints d’avoir été contraints de faire des « aveux » sous la torture, mais leurs allégations n’avaient fait l’objet d’aucune enquête.
Justice de transition Chargé d’assurer le suivi des travaux de l’IER, le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) n’avait toujours pas publié la liste de tous les cas de disparition forcée sur lesquels celle-ci avait mené des investigations. Publié en janvier 2006, le rapport final de l’IER formulait des recommandations en vue de garantir que des violations graves des droits humains ne se reproduiraient plus, appelant notamment à la mise en place d’un programme global de réformes judiciaires et institutionnelles. Aucune initiative en ce sens n’avait été prise à la fin de l’année. Il n’y a eu aucune avancée sur les questions de l’accès des victimes à la justice et de l’obligation pour les auteurs présumés des violations de rendre des comptes. Ces deux points ne relevaient pas du mandat de l’Instance.
En juin, à la suite d’une plainte du président du CCDH, un tribunal a ordonné au journal Al Jarida al Oula d’interrompre la publication des témoignages de hauts fonctionnaires devant l’IER. Cette intervention a été largement critiquée par les organisations marocaines de défense des droits humains.
Discrimination et violences contre les femmes En janvier, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes [ONU] a examiné les troisième et quatrième rapports périodiques du Maroc sur l’application de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Tout en saluant les initiatives prises par le gouvernement pour mettre fin à la discrimination envers les femmes, le Comité a demandé au Maroc d’ériger la violence contre les femmes en infraction pénale et de prendre des mesures pour la combattre. En novembre, le ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité a annoncé qu’une telle loi était en cours d’élaboration.
Une autre avancée a été constatée en décembre avec l’annonce par le roi Mohamed VI de la levée des réserves émises par le Maroc lors de la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
Discrimination – emprisonnement pour homosexualité En janvier, une cour d’appel a confirmé les peines allant jusqu’à dix mois d’emprisonnement qui avaient été prononcées à Ksar-el-Kebir (nord-ouest du pays) contre six hommes pour « actes impudiques ou contre nature avec un individu de son sexe ». Ils avaient été arrêtés en novembre 2007 après qu’une soirée privée organisée par leurs soins eut été présentée publiquement comme étant un « mariage homosexuel ». Les relations charnelles entre adultes consentants du même sexe constituent une infraction pénale au Maroc.
En novembre, une cour d’appel a confirmé la déclaration de culpabilité et la lourde peine d’amende prononcée en première instance contre le rédacteur en chef d’Al Massae pour diffamation envers des substituts du procureur de Ksar-el-Kebir. On lui reprochait d’avoir laissé entendre qu’un substitut avait assisté au prétendu « mariage homosexuel ». Cette peine d’amende risquait d’entraîner la fermeture du journal.
Réfugiés, demandeurs d’asile et migrants Des milliers d’étrangers soupçonnés d’être des migrants clandestins ont été arrêtés et expulsés collectivement. Dans la plupart des cas leur besoin de protection n’a pas été pris en considération et ils n’ont pas eu la possibilité d’interjeter appel de la décision d’expulsion ni de faire examiner les éléments l’ayant motivée, alors que ces droits sont garantis par la législation marocaine. Les autorités ont annoncé qu’entre janvier et novembre, elles avaient refoulé 10 235 étrangers qui tentaient d’entrer au Maroc. Des migrants auraient été soumis à une force excessive, entre autres mauvais traitements, au moment de leur interpellation, durant leur détention ou lors de leur expulsion. Certains auraient été abandonnés à la frontière algérienne ou mauritanienne avec des quantités insuffisantes d’eau et de nourriture.
Au moins 28 migrants, dont quatre enfants, se sont noyés dans la mer le 28 avril au large d’Al Hoceïma. Des survivants ont affirmé que les fonctionnaires marocains qui avaient intercepté leur embarcation gonflable l’avaient secouée et crevée, après que les migrants eurent refusé d’obtempérer à leurs ordres. Les autorités ont nié toute responsabilité des agents marocains, mais aucune enquête n’a été ordonnée. Les survivants ont été emmenés jusqu’à la ville d’Oujda, dans l’est du Maroc, et abandonnés à la frontière algérienne.
Camps du Front Polisario On disposait de peu d’informations indépendantes sur les conditions de vie dans les camps de réfugiés gérés par le Front Polisario en Algérie. Ce mouvement n’a pris aucune mesure pour mettre fin à l’impunité dont bénéficiaient ceux qui étaient accusés d’avoir commis des atteintes aux droits humains dans les camps durant les années 1970 et 1980.
Visites d’Amnesty International: Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Maroc et au Sahara occidental en février et mars.
La dernière colonie d'Afrique
Depuis 1975, trois quarts du territoire du Sahara Occidental sont occupés par le Maroc. Une grande partie de la population originale vit encore dans des campements de réfugiés en Algérie. Ceux qui restaient dans leur pays originaire, sont subis aux violations graves des droits de l'homme, perpétrées par l'occupant marocain. Depuis plus de 40 ans les Sahraouis attendent l'exercice de leur droit légitime à l'autodétermination.
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