Dans son 'carte blanche' dans Le Soir, Vincent Chapaux, Assistant auprès du Département de science politique et du Centre de droit international (ULB), a fait quelques remarques très poignantes sur le Sahara Occidental.
Mardi 19 août 2008, Le Soir Vincent Chapaux, Assistant auprès du Département de science politique et du Centre de droit international (ULB)
Nous voulons construire un État. Nous voulons que notre puissant voisin cesse, comme il le fait depuis des décennies, d’occuper notre territoire et nous exigeons qu’il détruise le mur qu’il a construit dans le but de s’approprier nos terres. Nous souhaitons également que certaines grandes puissances cessent de bloquer le Conseil de sécurité et permettent enfin l’application du droit international et des décisions de la Cour internationale de Justice. Ce discours, c’est celui du peuple palestinien. Mais le peuple du Sahara occidental a le triste privilège de pouvoir le partager.
Le Sahara occidental est un territoire grand comme neuf fois la Belgique, situé à la frontière sud du Maroc et occupé par celui-ci depuis plus de trente ans. Sur ce territoire résidait un peuple : le peuple sahraoui. Ce peuple croupit aujourd’hui, et depuis près de deux générations, dans des camps de réfugiés en Algérie ; à l’exception de certains de ses membres qui ont eu le courage de rester sur le territoire et de subir les violations répétées, massives et avérées des droits de l’homme menées par le gouvernement marocain.
Depuis l’invasion marocaine, le peuple sahraoui a créé la République arabe sahraouie démocratique, qui maîtrise une partie minuscule de territoire, celle située au-delà du mur que le Maroc a construit pour asseoir sa domination sur une terre qui ne lui appartient pas.
Les Sahraouis se sont battus pendant plus de 15 ans. Depuis 1991, ils tentent d’obtenir par les mots la reconnaissance des droits qu’ils refusent aujourd’hui de revendiquer par les armes. De son côté, la communauté internationale a parlé. Aucun État n’a reconnu la légitimité de l’annexion marocaine, à part le Maroc lui-même et, au sein des Nations unies, d’innombrables résolutions reconnaissent le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination c’est-à-dire, en clair, le droit de décider librement de son destin et du sort de son territoire. La communauté internationale a parlé, mais en pratique rien ne change. Le Maroc continue à occuper le Sahara occidental et à considérer cette région comme une partie intégrante de son territoire national. Pourquoi voudrait-il changer de politique quand les grandes puissances européennes, et en particulier la France, se chargent de bloquer toute décision du Conseil de sécurité qui mettrait le Maroc dans l’embarras ?
L’occupation marocaine, en elle-même, et l’attitude du Maroc sur le territoire sahraoui sont contraires à bon nombre de règles de droit international, en particulier les règles relatives aux droits de l’homme et au droit humanitaire. Un minimum d’empathie avec les Sahraouis la rend aussi humainement intolérable. Pourtant, personne, ou presque, n’en parle. Combien de fois entend-on parler du Sahara occidental à la télévision ou à la radio ? Quel journal a fait sa une des violations massives des droits de l’homme qui sont pourtant, selon Amnesty International et les Nations unies, commises quotidiennement par le Maroc sur des Sahraouis mais aussi par les Sahraouis eux-mêmes ? Qui se rend compte que l’Union européenne signe des accords de pêche avec le Maroc, accords qui, dans les faits, permettent aux bateaux européens de piller les eaux poissonneuses du Sahara occidental sans que les cris de protestation des Sahraouis, étouffés par les bottes de l’armée marocaine, ne puissent parvenir aux oreilles du monde ? Les médias se taisent. Or il est important que l’on sache car dans un système de démocratie participative, c’est essentiellement aux citoyens d’un État qu’échoit le devoir de contrôler ses dirigeants. Les citoyens européens ont donc le devoir de savoir le prix que payent les Sahraouis pour que nous ayons accès à leurs ressources halieutiques. Les citoyens belges ont le devoir de connaître l’avis du gouvernement belge sur la question, qui est résumée par la très combative position du ministre De Gucht qui « pense qu’il faut éviter de choisir entre le camp marocain et le camp sahraoui » (1). Le citoyen belge a également le devoir de savoir que certains de ses élus ont soumis à la Chambre une proposition visant à soutenir le plan marocain d’intégration du Sahara occidental au sein de l’État marocain (2). Soumettre cette proposition revient manifestement à soutenir le droit d’un État fort à engloutir un peuple faible. Elle émane pourtant d’une formation démocratique.
La presse européenne s’indigne régulièrement du fait que les Etats-Unis bloquent le Conseil de sécurité afin de soutenir l’État d’Israël, même lorsque celui-ci occupe un territoire, qui selon la Cour internationale de Justice, n’est pas le sien.
Pourquoi, dans ce cas, ne relève-t-elle pas que l’Europe, France en tête, bloque toute résolution du Conseil de sécurité qui demanderait au Maroc de se retirer du Sahara occidental sous peine d’une intervention des Nations unies ?
Que le mépris de la justice internationale des uns ne serve pas à masquer le dédain des autres, surtout lorsqu’il s’agit de nos propres élus. Regardons notre politique étrangère avec un œil tout aussi critique que celui avec lequel nous jugeons celle des autres.
Encore faut-il être au courant que nos gouvernements mènent des politiques aussi douteuses, me direz-vous. Eh bien c’est fait. Maintenant, vous savez.
(1) Réponse à la question orale de Mme Jacinta De Roeck au ministre des Affaires étrangères sur les troubles qui agitent la région du Sahara occidental (nº3-729), Annales du Sénat, 9 juin 2005, p. 27, disponible sur www.senate.be.
(2) Proposition de résolution engageant la Belgique à soutenir le plan marocain de pacification du Sahara occidental, 2 octobre 2007, Documents de la Chambre, DOC 52 0166/001, déposée par MM. Daniel Ducarme, Philippe Collard, Kattrin Jadin, Denis Ducarme, Jean-Jacques Flahaux et François-Xavier De Donnea.
La dernière colonie d'Afrique
Depuis 1975, trois quarts du territoire du Sahara Occidental sont occupés par le Maroc. Une grande partie de la population originale vit encore dans des campements de réfugiés en Algérie. Ceux qui restaient dans leur pays originaire, sont subis aux violations graves des droits de l'homme, perpétrées par l'occupant marocain. Depuis plus de 40 ans les Sahraouis attendent l'exercice de leur droit légitime à l'autodétermination.
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